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Église : la délicate intégration des prêtres "venus d’ailleurs"

Publié le 13 octobre 2020

Article de Isaac Houngué, Doctorant en science de gestion, François Grima, Professeur des Universités, Olivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

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Date(s)

le 12 octobre 2020

Historiquement considérée comme pourvoyeur de missionnaires pour l’Afrique, la France est devenue grand demandeur des prêtres appelés fidei donum, c’est-à-dire des missionnaires envoyés par leur diocèse pour une durée déterminée afin d’aider une Église qui est en situation de pénurie de prêtres.

En raison de la crise des vocations, ces prêtres venus d’Afrique sont de plus en plus nombreux à entrer en France chaque année. Selon les chiffres de l’Église, ils étaient 916 en 2014, soit plus de la moitié de l’ensemble des 1 620 prêtres étrangers, ou « venus d’ailleurs » pour reprendre la terminologie de l’Église.

Comme tout expatrié, ces missionnaires africains, principalement ceux de l’Afrique francophone, sont confrontés à un certain nombre de difficultés de type culturel, professionnel, etc. S’ils peuvent être rapprochés d’expatriés d’entreprise, la nature de leur travail les singularise. Être prêtre, c’est être professionnellement engagé 24 heures sur 24. Vie professionnelle et vie privée sont étroitement entremêlées.

Des messes moins animées

Pour autant, cet engagement dans une communauté chrétienne qui se définit comme catholique universelle devrait faciliter leur intégration et ne les confronter qu’à des difficultés d’ordre climatique et culturel. Or, plusieurs travaux montrent qu’en France et dans d’autres pays, les difficultés rencontrées par ces prêtres sont beaucoup plus importantes que cela.

Sans nier la véracité de ces résultats, il convient de noter que l’on sait peu de choses à l’heure actuelle sur la manière dont ces prêtres font face à ces difficultés. Pour mieux connaître les défis qu’ils rencontrent et leurs stratégies d’ajustement, nous en avons interrogé 40 d’entre eux, entre 2018 et 2020 en région parisienne, sous forme d’entretiens semi-directifs d’une durée moyenne de 30 minutes. Tous ont requis l’anonymat.

D’abord, au-delà des différences culinaires et vestimentaires, les prêtres missionnaires admettent leur surprise de trouver un contexte social et culturel radicalement différent de ce qu’ils imaginaient avant leur arrivée, à l’instar de ce missionnaire interrogé :

« Ici en France j’ai appris à vivre comme un Français, je dois laisser ma soutane et m’habiller comme eux, je dois m’efforcer de parler comme eux en imitant leur accent, je dois m’adapter à leur alimentation, je dois m’acclimater au froid et à la neige. J’avoue que ce que nous entendions de la France depuis l’Afrique est bien différent de la réalité. »

Quant aux différences dans leur activité, beaucoup soulignent le caractère triste des assemblées dominicales qui manquent de dynamisme. Comme le rappelle un missionnaire :

« En Afrique, les cérémonies sont généralement dynamiques, vivantes parce que bien animées et parfois dansantes. Ici, ce n’est pas pareil. Non pas que c’est mal animé mais les cérémonies sont pour la plupart trop classiques et les gens sont heureux comme ça. »

Un autre l’explique par l’absence de la jeunesse dans les paroisses :

« Le caractère parfois triste des cérémonies est dû au fait de l’absence flagrante des jeunes dans les églises de France. Ce sont en effet les jeunes qui font la force de nos paroisses en Afrique en intégrant dans les cérémonies les instruments de musique comme la batterie et les tambours et autres. »

La mission des prêtres en paroisse de France semble en outre très limitée du fait de la place importante accordée aux fidèles laïcs. Un autre ajoute :

« On n’a plus besoin de nous que pour célébrer la messe et donner les sacrements, le reste ils s’en chargent eux-mêmes. Même les cérémonies de baptême et de mariage sont réduites à leur strict minimum et ne doivent pas excéder 30 minutes, alors que ce sont les lieux de grandes fêtes en Afrique où la cérémonie peut durer deux heures. »

Heureusement, face à ces difficultés, les prêtres expatriés expliquent pouvoir s’appuyer sur deux précieuses ressources pour s’adapter : leur formation et la communauté paroissiale.

Précieux bénévoles

Les missionnaires que nous avons interrogés sont nombreux à mettre en avant la qualité de leur formation, délivrée par les missionnaires français avant leur départ, comme un élément clé de leur adaptation à leur nouveau contexte. Comme en témoigne l’un d’entre eux :

« Notre grande chance est que nous avons été formés par les missionnaires français venus en Afrique. Nous avons parfois le sentiment qu’ils nous ont formés d’abord pour venir faire fonctionner l’Église de France. »

À cela s’ajoutent quelques mois d’expérience ou de stage en paroisse en Afrique qui permettent aux candidats de comprendre comment gérer une paroisse. Plusieurs ont bénéficié d’un complément de formation sous la forme plusieurs ministères exercés comme ceux de vicaire, curé ou aumônier. Là encore un atout précieux, selon un autre missionnaire :

« Ces expériences me permettent de vite comprendre les problèmes que posent mes paroissiens. »

La seconde ressource est le soutien des bénévoles en paroisse. Ces derniers répondent à leurs divers questionnements, souligne un missionnaire :

« Nous ne pouvons rien faire sans ces bénévoles qui sont très utiles pour le fonctionnement de la paroisse. C’est parmi eux que nous nous faisons nos premiers amis pour bien comprendre la paroisse et la mentalité des paroissiens. »

Un autre missionnaire témoigne aussi de cet appui précieux :

« Je me suis vite renseigné sur les compétences socioprofessionnelles de mes collaborateurs pour savoir quel service je peux demander à chacun. »

Il n’en reste pas moins que ces expatriés particuliers que sont les prêtres missionnaires africains vivent une intégration délicate. Cependant, grâce à leur formation en Afrique et au soutien des bénévoles dans les paroisses, ils réussissent à atteindre leur objectif : évangéliser les fidèles de France.


Ce travail a bénéficié des résultats des travaux menés au sein des « ateliers thèses » de l’Observatoire « Action sociétale et action publique » (ASAP).The Conversation

Isaac Houngué, Doctorant en science de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); François Grima, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Olivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.