• Recherche,

Le Covid-19 ne doit pas vous faire oublier le code de la route !

Publié le 22 avril 2020

Article de Fabrice Hamelin, enseignant-Chercheur en science politique à l'UPEC, publié sur The Conversation France.

shutterstock_335217245
shutterstock_335217245
Date(s)

le 20 avril 2020

Ils ont été les premiers à lancer l’alerte. Bien que mobilisés, comme leurs collègues, par le contrôle des attestations dérogatoires au confinement, les « policiers de la route » ont réagi à l’augmentation des grands excès de vitesse sur les routes désertées. Face aux accidents mortels liés aux vitesses excessives et aux difficultés que rencontrent les services d’urgence, des gendarmes d’Escadrons départementaux de sécurité routière ont tenu à rappeler sur les réseaux sociaux que la priorité donnée au contrôle du confinement n’empêche pas la sanction des infractions au code de la route. En Vendée, en Savoie ou encore dans le Rhône, par exemple, cette prise de parole a été bien relayée par la presse quotidienne régionale.

Un message à l’attention des usagers de la route

L’avertissement s’adresse d’abord aux usagers de la route et à la population. Pour les policiers de la route, l’objectif poursuivi est bien de dénoncer le relâchement du comportement de certains conducteurs sur les routes désertes. Il est aussi de rappeler la règle et leur présence sur la route pour contrôler et sanctionner si nécessaire les excès de vitesse, la consommation de stupéfiants et d’alcools, les conduites dangereuses…

De manière attendue, le nombre des tués sur les routes de France a considérablement diminué au mois de mars. Avec 154 décès, c’est le mois le moins meurtrier de l’histoire de la sécurité routière en France. Il aurait pu l’être moins encore, si ces grands excès de vitesse n’avaient pas eu lieu. On enregistre 101 décès de moins qu’en mars 2019 et, pour autant, les autorités publiques et les associations concernées le jugent « catastrophique » au regard de la baisse du trafic due au confinement. La Ligue contre la violence routière et 40 millions d’automobilistes dénoncent ainsi de concert de grands excès de vitesse.

La prise de parole des gendarmes de la route n’est pas qu’un simple rappel à la loi. En dénonçant ces comportements inadaptés, les policiers de la route leur donnent une visibilité qui peut renforcer la réprobation sociale et susciter chez d’autres conducteurs un comportement plus respectueux de la réglementation routière. Mais cette réaction s’explique aussi, parce qu’ils retrouvent face à eux des délinquants de la route, c’est-à-dire ceux qu’ils considèrent comme leurs « vrais clients ». Ils retrouvent également les missions de leur cœur de métier : la sécurité routière. On les avait peu entendu pendant les deux années de controverses au sujet de l’abaissement à 80 km/h des vitesses autorisées sur les routes à double sens. Les grands excès de vitesse constatés, les chiffres paradoxaux de la mortalité routière et la situation d’urgence sanitaire ont libéré la parole de ces professionnels.

Un message adressé à la hiérarchie ?

Il ne fait guère de doute que le message s’adresse aussi à leur hiérarchie. Les agents de ces unités spécialisées ont dû adapter leurs missions et leurs priorités aux exigences du confinement. Dans ce contexte, les mauvais comportements au volant leur permettent de redire à quel point le contrôle routier, le recours aux jumelles et les interpellations conservent tout leur sens en matière de sécurité routière. Le caractère momentanément inutilisable des outils de contrôle automatisés a donné plus de poids encore à leur message.

Le rappel des missions ordinaires

Le moindre recours aux radars mobiles fait ressortir l’utilité des ressources humaines dédiées et d’outils et de pratiques professionnelles plus conventionnelles, à l’exemple de l’interpellation. L’importance de la visibilité de l’action des forces de police en charge du contrôle routier est réaffirmée tout comme la pertinence des contrôles physiques à une période de technologisation croissante de la surveillance et du contrôle routier.

En temps plus ordinaires, les missions de régulation des déplacements qui incombent à ces professionnels consistent d’abord à prévenir ou réagir aux désordres et aux risques liés à la circulation. Qu’il s’agisse de lutter contre la délinquance, de sécuriser les réseaux ou de protéger la vie et les biens, il s’agit d’abord d’assurer la continuité et la fluidité de la circulation. On demande au policier de la route de savoir apprécier lorsqu’un accident ou un incident exige ou non d’interrompre, de ralentir ou de détourner la circulation.

Dans le cadre d’intervention qui est fixé par l’état d’urgence sanitaire, la régulation des circulations des personnes dans la France contemporaine repose sur une exigence bien différente : celle du confinement. Elle passe par le contrôle d’une attestation de déplacement dérogatoire et de fait de sa motivation. Que faites-vous sur la route, aujourd’hui, et pourquoi ? Il ne s’agit pas de contrôler l’interdiction de séjour, la présence abusive ou l’errance mais bien la mobilité, le déplacement.

La prise de parole des agents de différentes unités spécialisées rappelle aussi que les missions qui leur sont confiées aujourd’hui ont peu ou pas à voir avec leur cœur de métier.

La manifestation d’une autre forme de police des flux

Le confinement imposé à l’ensemble de la population présente sur le territoire national a remis en évidence les restrictions dont notre liberté de circulation peut faire l’objet. Bien entendu, chacun peut citer les couvre-feu pris, par exemple, à destination des plus jeunes par les autorités municipales de Nice ou de Béziers. Chacun a aussi en tête les figures inquiétantes et souvent fantasmées du vagabond, du récidiviste ou même de l’étranger, dont les autorités publiques cherchent à contrôler la mobilité.

Au nom de la liberté de circulation, nous avions peut-être oublié cette fonction de surveillance et de contrôle, à la fois historique et essentielle, des chemins et de ceux qui les empruntent. Le confinement instauré depuis le 17 mars nous a ainsi rappelé la fonction de régulation des déplacements qui incombe traditionnellement aux forces de l’ordre.

La population confinée redécouvre ce contrôle des flux opéré par les forces de l’ordre. Elle l’accepte plus ou moins bien, comme le montrent les formes de résistance qui se sont développées au cours des dernières semaines. Certains font la joie des réseaux sociaux mais d’autres sont clairement des refus d’obtempérer.

Les manifestations de résistance ont d’ailleurs conduit, en région parisienne, à réduire les motifs de dérogation ou bien encore certaines plates-formes collaboratives à revoir leur politique d’« assistance » à la conduite comme Waze qui a récemment désactivé la fonction de signalement des contrôles policiers.

Cette situation est tout aussi inédite pour la plupart des professionnels mobilisés pour le contrôle des attestations de déplacement, comme en témoignent les hésitations et parfois dérives qui, sur le terrain, accompagnent la mise en œuvre policière de ce nouveau contrôle des flux.

Le contrôle des attestations dérogatoires renvoie davantage à des missions de police générale et parmi les plus classiques, à l’exemple du contrôle d’identité. Elles font alors plus appel à la polyvalence des agents qu’aux spécialisations acquises. C’est peut-être aussi en réaction à cette polyvalence accrue qu’il faut entendre les interpellations des agents des EDSR sur le non-respect du code de la route. Associée au recours aux nouvelles technologies, elle véhicule un risque de remise en cause des savoirs professionnels dédiés et donc des unités qui les entretiennent.


 Fabrice Hamelin, enseignant-chercheur en science politique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.