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Les plans de sauvegarde de l’emploi permettent-ils vraiment de sauvegarder l’emploi ?

Publié le 10 novembre 2020

Article de Rémi Bourguignon, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC), Géraldine Schmidt, Professeure, IAE Paris - Sorbonne Business School et Vincent Pasquier, Professeur en GRH et relations professionnelles, HEC Montréal.

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Date(s)

le 9 novembre 2020

Les difficultés économiques causées par la Covid-19 font exploser, en France, le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi. Dans sa note du 27 octobre 2020, la Dares indique que 454 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été envisagés par des entreprises françaises depuis le début de la crise sanitaire, mettant en danger quelques 65 000 emplois, soit 3 fois le nombre de ruptures de contrats de travail envisagé sur la même période en 2019.

Or, ces PSE sont-ils véritablement efficaces pour « sauvegarder l’emploi » ? Côté employeur, le dispositif est parfois vilipendé comme étant inutilement long, complexe et coûteux. Côté syndicat, on le juge en grande partie inefficace pour limiter la destruction d’emplois, notamment lorsqu’il s’agit de contrer les licenciements perçus comme « opportunistes » ou « boursiers ».

blank. Dares (Octobre 2020)

Malgré ces critiques, il n’en demeure pas moins qu’à certaines conditions, les processus de PSE peuvent produire des résultats. Au travers d’un travail de recherche portant sur l’étude de 19 cas de PSE menés entre 2015 et 2018, nous nous sommes efforcés de mettre en lumière les conditions à réunir pour que les PSE parviennent effectivement à tenir leurs promesses.

Réduire les licenciements et faciliter le retour à l’emploi

Successeur du « plan social » depuis 2002, le plan de sauvegarde de l’emploi est un dispositif légal auquel sont soumises les entreprises de plus de 50 salariés qui envisagent de rompre, pour des raisons économiques, au moins 10 contrats de travail sur une période de 30 jours consécutifs. Dans les entreprises qui connaissent ou anticipent des difficultés économiques, la procédure de PSE vise alors à limiter la destruction d’emplois de deux manières.

Premièrement, les PSE visent à « éviter les licenciements ou en limiter le nombre », en révisant le projet initial de restructuration porté par l’employeur. Deuxièmement, ils visent à « faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité » par des mesures d’accompagnement telles que le congé de reclassement, le financement de formation, l’aide à la création d’entreprise, l’aide à la mobilité, le recours à des cabinets de placements, les indemnités de licenciement, etc.

Pour tenter d’atteindre ces deux objectifs, la procédure de PSE prévoit de manière tout à fait centrale l’intervention de deux types d’acteurs : les représentants des salariés et la Direccte (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). Les représentants du personnel ont très souvent la tâche de négocier le contenu du PSE avec l’employeur et sont, a minima, informés et consultés au cours de la procédure.

La Direccte, pour sa part, joue le rôle de « gardien » de la procédure. Étant donnée l’intervention combinée de ces deux types d’acteurs, la logique originale des PSE peut être qualifiée de « négociation administrée ». Les rôles et stratégies adoptés par ces deux types d’acteurs sont donc déterminants pour comprendre l’issue des PSE.

Limiter les licenciements : rapport de force et aptitudes stratégiques des syndicats

Le sentiment régulièrement exprimé au sujet des PSE est que le premier objectif de réduction du nombre de licenciements est rarement atteint… Sentiment que corroborent les experts rencontrés dans le cadre de nos travaux. Nous identifions deux configurations types qui permettent de réduire le nombre de licenciements initialement prévu dans le PSE. Nous identifions deux configurations types qui permettent de réduire le nombre de licenciements initialement prévu dans le PSE.

Dans une première configuration, le motif économique invoqué par l’employeur pour justifier les licenciements collectifs est contesté avec force. L’employeur est alors sommé de réduire le nombre des licenciements, voire plus rarement, d’annuler son plan. Cet enjeu n’est actuellement pas anodin. Les entreprises tentées de profiter d’un éventuel effet d’aubaine pourraient en effet être nombreuses dans cette période de crise.

Une seconde configuration permet également « d’éviter ou limiter » des licenciements : il s’agit d’une situation, plus rare, où une négociation loyale et peu conflictuelle fait émerger un projet économique alternatif, comme ce fut le cas par exemple chez Bosch à Vénissieux.

Quelle que soit la voie empruntée, notre enquête met en lumière que, pour établir une négociation effective du nombre de licenciements, il faut tout d’abord que les représentants syndicaux soient dotés de compétences techniques (connaissance du cadre réglementaire, maîtrise des questions économiques…) et d’aptitudes stratégiques (appui d’experts-comptables et d’avocats, forte reconnaissance par les salariés, insertion dans des réseaux externes, etc.).

La deuxième condition clef est qu’ils parviennent à imposer un rapport de force par la voie conflictuelle. Sans ces deux conditions simultanées, il est très difficile, sinon impossible, de contraindre l’employeur au dialogue économique et donc à la limitation du nombre de licenciements.

Faciliter le retour vers l’emploi : l’administration du travail, une alternative au conflit pour instaurer la négociation

Si les PSE qui mènent à une réduction du nombre de licenciements sont rares, il est en revanche plus fréquent que cette procédure permette d’obtenir des conditions d’accompagnement « de qualité ».

Là encore, deux principales configurations émergent. La première correspond à celle précédemment évoquée, qui combine compétences syndicales et stratégie conflictuelle. Mais, de manière tout à fait intéressante, s’en ajoute une seconde, plus fréquente encore, où l’administration du travail (la Direccte) intervient bien plus largement dans la procédure pour contraindre l’employeur à négocier. Elle se donne alors pour mission de garantir la loyauté de la négociation, notamment dans un contexte où la direction de l’entreprise est sous pression d’une gouvernance financiarisée.

Deux éléments peuvent expliquer que le conflit est toujours nécessaire – ou presque – dans le premier cas, mais pas dans le second. Cela tient pour partie au management des entreprises. Le DRH qui prend en charge la négociation au titre de l’employeur détient quelques marges de manœuvre sur les dispositifs d’accompagnement qu’il ne détient pas sur le projet économique décidé par la direction générale. Cela tient aussi au rôle de la Direccte.

Il convient en effet d’avoir en tête qu’elle ne se prononce pas sur le motif économique mis en avant par l’employeur : les PSE ne peuvent pas être annulés pour motif économique insuffisant. L’employeur n’est alors nullement contraint de débattre du bien-fondé économique du PSE, et encore moins à réviser son plan de restructuration conjointement avec les représentants du personnel.

Quelles « leçons » pour la vague de restructurations actuelle ?

Au bilan, il ressort de notre étude que la négociation des PSE peut effectivement contribuer à la sauvegarde d’emploi, mais uniquement lorsque les employeurs font face à des équipes syndicales hautement compétentes, et qui s’appuient sur des stratégies conflictuelles et/ou sur les pouvoirs publics (Direccte).

Deux leçons au moins peuvent être retenues pour la période à venir. Premièrement, l’État, par la voie de son administration du travail, doit pouvoir amener les directions d’entreprise et les syndicats à négocier le projet économique de l’employeur et, ce faisant, à limiter les suppressions d’emplois.

Deuxièmement, il faudra suivre avec une certaine vigilance la négociation des restructurations qui prendront appui sur les outils juridiques alternatifs aux PSE, tels que les accords de performance collective (APC) ou les ruptures conventionnelles collectives (RCC).

L’absence de cadre réglementaire contraignant et l’absence d’intervention administrative peuvent faire craindre des négociations déloyales et excessivement déséquilibrées. Il semble d’ailleurs que l’État en ait bien pris conscience en recadrant l’usage qui peut être fait des APC dans le prolongement des alertes lancées par le comité d’évaluation des ordonnances travail de 2017.The Conversation


Rémi Bourguignon, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Géraldine Schmidt, Professeure, IAE Paris – Sorbonne Business School et Vincent Pasquier, Professeur en GRH et relations professionnelles, HEC Montréal

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.